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Nicolas Lapierre : “En Endurance, j’aime le fait que chacun dans l’équipe ait un rôle prépondérant dans le résultat final”

Paris, 13 mai 2024 - Avec plus de quinze ans de succès en Endurance, majoritairement sous les couleurs de la compagnie TotalEnergies dont il est l’un des plus fidèles porte drapeaux, le pilote de l’Alpine Endurance Team, également Team Principal de COOL Racing, sa propre structure, a confié son amour de la discipline à la veille de la troisième manche du Championnat du Monde FIA de la spécialité, à Spa-Francorchamps.

L’Endurance est une discipline où tu cours depuis plus de quinze ans. Que penses-tu de son évolution ?

Le fait de voir tous ces constructeurs qui reviennent après avoir un peu déserté cette catégorie, c’est une satisfaction et un grand plaisir de pouvoir y prendre part. D'autant plus qu'il s'agit de constructeurs très prestigieux. C’est beau à regarder lorsque l’on est en dehors de la voiture, et sympa à vivre lorsque l’on est à l’intérieur. Quand on roule, on est toujours face à de nombreux constructeurs, des belles voitures conduites par des tops pilotes donc c’est vraiment agréable et je parle là en tant que fan d’Endurance.

Comment tu expliques cet engouement ?

Cette nouvelle réglementation permet de développer une voiture avec un système hybride, avec des budgets un peu plus contrôlés. Elle est faite de manière très intelligente et en cela elle est séduisante. D’où ce fort engouement des constructeurs qui y voient à la fois un spectacle attrayant, un cadre prestigieux avec le championnat du monde FIA, les 24 Heures du Mans mais aussi un laboratoire pour leurs nouvelles technologies. Je pense aussi que plus il y a de constructeurs, plus c’est attrayant donc ça a aussi un effet un peu boule de neige, qui fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec une vingtaine d’Hypercar au Mans ce qui est assez incroyable.

Tu te définis comme un passionné d’Endurance. Qu’aimes-tu dans cette discipline ?

Ce que j’aime plus que tout, c’est le partage, le fait qu’il y ait plusieurs pilotes qui participent au résultat de la voiture et d’avoir toute une équipe derrière qui a un rôle prépondérant. Sur une Endurance de 24 Heures, il y a beaucoup de changements de pneumatiques, de stratégie, parfois des changements de pièces, donc toute l’équipe a vraiment un rôle très important à jouer et la cohésion, la cohérence entre tous, est primordiale. C’est ce qui me correspond le plus, j’ai eu la chance de faire pas mal de monoplace, je prenais beaucoup de plaisir au volant mais en dehors c’est vrai que c’était un peu frustrant pour moi parce que c’est vraiment plus individualiste, avec chacun l’un contre l’autre. Là je me retrouve plus dans l’esprit de l’Endurance.

Tu as passé la saison passée à développer l’Alpine A424. Est-ce que ce travail de l’ombre est une facette que tu apprécies ?

Clairement, c’est une de mes phases favorites. J’ai pu le faire pour plusieurs constructeurs et c’est vrai que c’est passionnant. J’aime beaucoup la technique, du coup j’apprécie cette période où on passe pas mal de pièces, de philosophies différentes, en revue, pour en essayer d’extraire la meilleure. C’est aussi des moments un peu privilégiés que tu partages avec l’équipe, que ce soit les gens qui dessinent la voiture, ceux qui la produisent, ceux qui l’assemblent puis ensuite ceux qui l’exploitent. On a vraiment une vue globale de tout le projet.

Aujourd’hui tu es le pilote le plus expérimenté dans l’effectif d’Alpine. Cela signifie-t-il que tu as un rôle de transmission auprès de tes équipiers plus jeunes ?

Pas du tout en termes de pilotage car tous nos pilotes excellent à ce niveau-là et n’ont rien à apprendre de moi ! Mais oui sur tout ce qui est en dehors, l’approche de la course, la gestion des pneumatiques, de l’essence, du trafic, c’est vrai que j’essaie de leur partager un peu mon expérience. J’ai eu l’opportunité de passer par d’autres constructeurs qu’Alpine, donc je connais ce genre de projets avec des équipes un peu plus étoffées que ce que les autres ont pu connaître auparavant, à part Mick évidemment qui a eu la chance de rouler dans des grosses cylindrées, donc j’essaie de les accompagner là-dessus.

Quelle est la principale difficulté lorsque l’on fait le saut de la monoplace à l’Endurance comme Mick Schumacher, ton équipier, et comment s’en sort-il jusqu’alors ?

C’est toujours compliqué car la période d’adaptation est finalement très courte, mais après c’est plus une question d’envie, de philosophie, de changer vraiment d’approche. Mick a eu l’intelligence de le faire très rapidement quand il est venu avec nous dès les premiers tests à Jerez l’année dernière, il a tout de suite compris que ses équipiers étaient là pour l’aider et pas le battre. Il a tout de suite été très demandeur de conseils, pour essayer d’apprendre le plus vite possible. Du coup il a réussi à faire une transition de manière assez rapide et spectaculaire parce qu’aux deux premières courses, il a très bien roulé. Il a su s’adapter non seulement à la voiture qui est bien différente de ce qu’il a pu rouler jusqu’alors, mais aussi au trafic et à la gestion de course. Donc c’est chouette de l’avoir parmi nous, il fait un super début en Endurance, bientôt il va arriver au Mans pour la première fois, qui sera aussi un gros challenge. Il faudra qu’il se mette vite dans le bain mais je suis confiant quant à sa capacité à y parvenir.

Quelle est la grosse difficulté lorsque l’on débarque aux 24 Heures du Mans la première fois ?

D’une part, c’est un circuit non permanent sur lequel on ne peut jamais s’entraîner. Évidemment il aura fait un peu de simulateur avant. Mais c’est un tracé pas évident car il change beaucoup pendant la semaine. À 80 %, c’est une route nationale donc elle n’est pas du tout gommée, elle est même plutôt sale. Les premiers essais, la piste va être très glissante puis elle va s’améliorer au fur et à mesure de la semaine. Lorsque l’on n’a jamais connu ça, on a du mal à prendre la mesure de l’évolution de l’adhérence. Le circuit est aussi très long, deux à trois fois plus qu’un circuit conventionnel, donc finalement on ne fait pas beaucoup de tours, car on doit aussi partager le temps de roulage avec ses équipiers, aussi on arrive le samedi au départ de la course en n’ayant parcouru que très peu de boucles. Ce qui fait qu’une première fois au Mans est toujours délicate.

Ou en êtes-vous aujourd’hui avec l’Alpine A424 et quelles sont les objectifs cette saison ?

C’est difficile de dresser pour l’instant un bilan global. Les débuts au Qatar ont été plutôt réussis car on a mis une voiture dans les points, on aurait pu certainement en mettre deux. Après Imola, ça a été beaucoup plus difficile, car c’est un circuit beaucoup plus bosselé sur lequel on n’avait encore jamais eu l’occasion de s’entraîner. Pour l’instant, on a eu deux circuits très différents, après Spa on aura une vision un peu plus globale de là où on se situe sur un circuit un peu plus conventionnel. Pour l’instant, on a encore beaucoup de choses à optimiser mais on est plutôt bien dans notre timing. Difficile de se prononcer quant à nos attentes en termes de résultats. Aujourd’hui, on avance plus course par course, avec beaucoup d’humilité. Évidemment que l’on a des ambitions mais elles sont plus pour l’année prochaine où l’on aura un peu plus de recul sur nos performances, nos points forts, nos points faibles… On aura pu rouler sur tous les circuits. Là à chaque épreuve, il y a toujours un petit temps d’adaptation.

Tu es en même temps Team Principal de COOL Racing, ton propre team d’Endurance, également soutenu par ELF. Comment concilies-tu ces deux rôles ?

L’emploi du temps est assez chargé pour être honnête ! C’est intense, mais j’essaie de faire la part des choses et ne pas tout mélanger. Ce sont deux rôles différents, mais que j’adore. Ce sont vraiment deux projets qui me tiennent à cœur. D’un côté Alpine, c’est l’aboutissement de plusieurs années de travail pour avoir une voiture dans la catégorie reine qui, à terme j’espère, sera capable de se battre devant, et de l’autre côté c’est la naissance d’une équipe. C’est notre quatrième année maintenant, on a gagné notre première course cette année en ELMS et les choses se passent plutôt bien. Je prends autant de plaisir à manager mon équipe qu’à rouler chez Alpine. J’aime le côté gestion humaine, voir les jeunes pilotes progresser, pouvoir les accompagner du mieux possible en apportant mon expérience, en faisant comprendre à mon équipe ce qu’attendent les pilotes, ce qu’il faut faire pour les faire performer au mieux.